Paris : Les sources de Belleville Part. 1 - La rue des Cascades - XXème



Entre la rue de Ménilmontant et le point culminant de Paris du côté de la rue du Télégraphe, de nombreuses venelles au charme authentique portent des noms évocateurs. Rue des Rigoles, rue de la Duée, rue de la Mare, rue de Savies autant d’appellations en référence aux sources de Belleville qui alimentèrent la Capitale en eau, de l’époque gallo-romaine jusqu’au XVIIIème siècle. La promenade retrace le parcours de ces flots domptés par la main de l’homme en suivant les rues qui au-delà de leur nom laissent encore affleurer ici et là les vestiges des aqueducs du nord de Paris. Agréable flânerie au fil de l’eau, riche en découvertes. Dans ce premier volet sur les traces des sources de Belleville, suivons la rue des Cascades. Elle prend naissance place Henri Krasucki à quelques mètres de la rue des Pyrénées et descend en sinuant jusqu’à la rue de Ménilmontant. Retrouvez l'ensemble des articles au sujet des Eaux de Belleville ici.











En plein cœur du Paris apache, cher à Brassaï, à Willy Ronis et au cinéma des années 50 (au numéro 44 a été tourné le film Casque d’or en 1962), ce quartier haut lieu anarchiste hésite, de nos jours, entre ses origines populaires et la gentrification progressive. Vastes complexes HLM bétonnés et coquettes maisons de ville se côtoient dans un bric-à-brac architectural symptomatique de l’appétit croissant des promoteurs immobiliers. Pour un temps encore, la rue des Cascades sinue sur la colline de Belleville dans une atmosphère de joli village verdoyant. Cafés littéraires, ateliers d’artistes, minuscules commerces associatifs résistent au bétonnage systématique parmi les pavillons individuels pourvus de jardinets, les immeubles de briques rouges et quelques nouvelles constructions plus ou moins inspirées.

Large de 12 m, longue de 475 mètres, la rue des Cascades doit son nom aux anciennes chutes d’eau aménagées, cascades artificielles, le long des trois aqueducs qui permettaient de recueillir et de filtrer l’eau des sources de Belleville. La colline Belleville-Ménilmontant dont l’altitude oscille entre 95 et 130 mètres au dessus de Paris forme géologiquement parlant la partie occidentale du plateau de Romainville Les Lilas. Les sous-sols sont composés d’une couche sableuse reposant sur une sous-couche quasi horizontale de marne verte. Cette sous-couche argileuse imperméable arrête et canalise toutes les eaux d’infiltration qui réapparaissaient avant l’urbanisation sous forme de multiples suintements et ruisselets le long du rebord du plateau.











Au IIème siècle, les Romains construisent un vaste système de canalisations qui approvisionne Lutèce, ses thermes récemment construits et ses nouvelles fontaines. Après s’être intéressées aux collines d’Auteuil et de Montmartre, ils jettent leur dévolu sur celle de Belleville-sur-Sablon. Les sources de Ménilmontant, Pré-Saint-Gervais, Belleville sont captées grâce à un réseau de drains souterrains en pierre qui convergent vers un bassin de rétention. Avec la chute de l’Empire Romain les installations sont peu à peu abandonnées et tombent dans l’oubli malgré leur utilité sanitaire. La population de Paris s’approvisionne en eaux de piètre qualité directement à la Seine ou grâce à des puits privés de piètre qualité. Dans la Capitale, l’eau est rare et précieuse. 

Au Moyen-âge, le réseau d’aqueducs impliquant la captation et la distribution des eaux se développe sous l’impulsion des congrégations religieuses - prieuré de Saint-Lazare, abbaye de Saint-Martin-des-Champs, commanderie du Temple - qui s’intéressent de près à la colline de Savies, ancien nom de Belleville, où se trouvent de nombreuses sources susceptibles d’approvisionner les communautés. 

L’abbaye Saint-Martin des Champs (dont les bâtiments sont devenus le Conservatoire des Arts et Métiers à la Révolution) est fondée en 1079. Les moines redécouvrent et rénovent les canaux romains qu’ils prolongent jusqu’à Ménilmontant. Il s’agit de  l’aqueduc de Savies qui sera utilisé jusqu’au XVIIIème. Au XIIème siècle, sur les collines Belleville Ménilmontant qui ne portent pas encore ce nom, les riches bourgeois font bâtir des maisons de campagne créant peu à peu de petites agglomérations, minuscules villages tels que les Courtilles, le Fief des Bruyères, Mesnil Mautemps. 











La prospection des eaux se poursuit. De retour de Terre Sainte où ils ont participé aux croisades, les moines hospitaliers de l’Ordre de Saint-Lazare rachètent l’ancienne Abbaye de Saint-Laurent afin de la convertir en léproserie. Ils érigent un deuxième aqueduc, l’aqueduc du Pré-Saint-Gervais qui sera racheté en 1364 par la Ville de Paris afin d’alimenter les fontaines publiques de la Rive Droite. 

Parmi celles-ci la fontaine Maubuée dite fontaine de la mauvaise lessive antérieure à 1392, originellement située à l’emplacement de l’actuel Centre Pompidou a été démontée en 1937 pour être installée à l’angle de la rue Saint-Martin et de la rue de Venise. La fontaine des Innocents (1549) qui se trouve alors adossée à l’Eglise des Saints-Innocents vers la rue Saint-Denis, la fontaine de Pilori des Halles (1601-1820) située dans l’ancien marché des Halles. Philippe Auguste (1180-1233) fait construire un troisième aqueduc dit de Belleville, un aqueduc voûté partant de la source principale.











Sur la quarantaine de regards, répartis entre le Pré-Saint-Gervais Belleville, petits édifices permettant d’accéder aux réseaux souterrains, de vérifier la qualité des eaux et leur niveau, dix-huit seulement subsistent aujourd’hui et seulement quatre sont visibles sur Belleville les autres étant situés sous la chaussée comme le regard Saint-Louis situé sous les immeubles des 162 et 154 rue de Belleville ou bien dans la cour d’immeuble privé comme le regard du Chaudron au 6 rue de Palestine. 

Le regard de la Lanterne se trouve au 213 rue de Belleville à l’entrée du cimetière de Belleville dans le jardin du Regard de la Lanterne et il marque la tête de l’aqueduc de Belleville. Le regard des Messiers se trouve au 17 rue des Cascades. Le regard de la Roquette est visible depuis le 41 rue des Cascades et le 38 rue de la Mare. Situé dans un jardin privé depuis 2004, il est accessible uniquement aux locataires de l’OPAC. Classé monument historique en 1929, l’arrêté a été suspendu en 2006 à la suite du classement des Eaux de Belleville comprenant l’ensemble des aménagements réalisés autour des sources de Belleville.









Le regard Saint-Martin dit des Petites Rigoles bâti au XVIIème siècle mais dont la date de construction exacte est inconnue, se trouve à l’angle de la rue des Cascades et de la rue de Savies au numéro 42 de la rue des Cascades. Positionné à un point stratégique du captage principal de l’aqueduc de Belleville, il donnait accès à une galerie souterraine de 130 mètres - dont il ne reste plus aujourd’hui que 15 mètres - qui prenait fin vers l’actuelle place du Guignier. Vestige émouvant du réseau de 2km de long jusqu’au prieuré de Saint-Martin-des-Champs actuel musée des Arts et Métiers. D’importants travaux de restauration en 1633 et 1722 ont donné lieu à l’installation d’une plaque commémorative, toujours en place, sur laquelle on peut lire : « Fontaine coulant d'habitude pour l'usage commun des religieux de Saint-Martin de Cluny et de leurs voisins les Templiers. Après avoir été trente ans négligée et pour ainsi dire méprisée, elle a été recherchée et revendiquée à frais communs et avec grand soin, depuis la source et les petits filets d'eau. Maintenant enfin, insistant avec force et avec l'animation que donne une telle entreprise, nous l'avons remise à neuf et ramenée plus qu'à sa première élégance et splendeur. Reprenant son ancienne destination, elle a recommencé à couler l'an du Seigneur 1633, non moins à notre honneur que pour notre commodité. Les mêmes travaux et dépenses ont été recommencés en commun, comme il est dit ci-dessus, l'an du Seigneur 1722. » 


Rue des Cascades à Belleville-Ménilmontant
De la place Henri Krazucki à la rue de Ménilmontant - Paris 20