Paris : Physichromie double face de Carlos Cruz-Diez - Place du Venezuela - XVIème



Sur la place du Venezuela dans le XVIème arrondissement, une curiosité artistique a attiré mon attention. Cette œuvre datant de 1976 est une création de l’artiste vénézuélien Carlos Cruz-Diez, figure majeure de l’art cinétique et de l’art optique. Longue palissade ondulante de 18 mètres de longueur sur 3 mètres de haut, son allure industrielle interroge les immeubles en pierre de taille et les constructions plus modernes des lieux. Physichromie double face présente au premier abord, une composition de lignes serrées, des lames posées sur des aplats de couleurs primaires. En fonction du point de vue et de l’angle d’incidence de la lumière, l’assemblage produit une gamme chromatique plus étendue, des variations faisant apparaître des nuances qui ne sont pas présentes. La couleur envahit l’espace contenu entre les lames verticales qui agissent comme des modulateurs de lumière sur un principe purement optique.





"Piège à lumière", le principe évolutif de Physichromie double face est fondé sur le jeu de la couleur lumière et de la couleur physique. La composition projetée rappelle les effets de bas-relief en créant une situation évolutive de couleur additive, reflétée et soustractive. Le regard du spectateur fait partie prenante de l’œuvre à qui elle se révèle puis se transforme dans une mise en évidence de l’interaction entre l’espace de la réalisation et l’espace du spectateur.

Acteur majeur de l’art optique et de l’art cinétique (les moirages), Carlos Cruz-Diez est né à Caracas au Venezuela en 1923. Après sa formation aux Beaux-Arts de Caracas en compagnie de Jesus-Rafael Soto, il devient graphiste, illustrateur, directeur artistique d’une agence de publicité. Professeur aux Beaux-Arts de Caracas, il enseigne l’histoire des arts appliqués, l’art graphique et la typographie avant de devenir le directeur de la vénérable institution. Au milieu des années 50, il fait de nombreux séjours en Europe puis s’installe à Paris en 1960 où il vit travaille et enseigne. Théoricien de la couleur, Carlos Cruz-Diez a étendu sa réflexion plastique à travers une approche cognitive du phénomène de la couleur en se basant sur trois situations chromatiques : soustractive, additive et réfléchie. "Je propose la couleur autonome. Sans anecdote, dépourvue de symbolisme, en tant que fait évolutif qui nous implique." Ses avancées conceptuelles lui ont permis de développer un univers perceptif singulier dans lequel la couleur événement autonome est capable d’évoluer dans le temps et l’espace réel, une réalité qui peut exister sans recours à la forme ou au support.



© Atelier Cruz-Diez Paris


"Dans mes œuvres, la couleur apparaît et disparaît au cours du dialogue qui se génère entre l’espace et le temps réels. Simultanément, il apparaît de façon indiscutable que l’information acquise, comme les connaissances mémorisées au cours de notre expérience de vie, ne sont probablement pas exactes – du moins partiellement. Il est d’ailleurs possible que grâce à la couleur, abordée au travers d’une vision élémentaire dépourvue de significations préétablies, nous puissions réveiller d’autres mécanismes d’appréhension sensibles plus subtiles et complets qu’on ne le supposait de par le conditionnement culturel et l’information massive des sociétés contemporaines." Carlos Cruz-Diez, Paris, 1969 

Carlos Cruz-Diez a développé des séries de dispositifs dont les noms évocateurs soulignent son obsession pour la couleur : Couleurs additives, Physichromies, Inductions Chromatiques, Chromo-Interférences, Transchromie, Chromo-saturations, Couleurs à l’espace. Ces structures révélatrices du comportement de la couleur sont tournées vers des phénomènes perceptifs ou physiques particuliers fonctionnant selon différents principes tels que l’addition de couleurs, la soustraction dans l’absorption d’un rayonnement coloré par son opposé. Certains sont actionnés par des moyens mécaniques : glissement de parallèles, rotation accentuant le mélange optique.

"À travers de ma trajectoire chromatique, j’essaie de mettre en évidence la couleur comme une situation éphémère et autonome. La couleur en continuelle mutation créant des réalités autonomes. C’est une réalité parce que ces événements ont lieu dans l’espace et dans le temps réels, sans passé ni futur, dans un présent perpétuel. Elle est autonome car elle est mise en évidence sans dépendre d’aucune anecdote ni forme, ni même d’un support que le spectateur a l’habitude de voir en peinture. C’est ainsi que s’établit une autre dialectique entre le spectateur et l’œuvre, une autre relation de connaissance."

Physichromie double face, 1976 - Carlos Cruz-Diez
Place du Venezuela - Paris 16