Théâtre : Le joueur d'échecs d'après Stefan Zweig - Adaptation d'Eric-Emmanuel Schmitt - Avec Francis Huster - Théâtre Rive Gauche - Paris 14



Réfugié à Londres à la suite de l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne, Stefan Zweig décide de quitter l’Europe en guerre dévastée par le nazisme, ce monde qu’il ne reconnait plus, pour se réfugier en compagnie de sa femme Lotte, gravement malade, en Amérique du Sud. Sur le paquebot qui le mène en exil, il découvre la présence d’une bien curieuse célébrité, Mirko Czentovic, champion du monde d’échecs, invaincu jusque là, brute taciturne et avide aux origines modestes que l’on pourrait considérer plus proche de l’animal que de l’homme s’il ne révélait son unique talent confinant au génie autour de l’échiquier. Zweig fasciné par les monomanies tente de se rapprocher de ce cas étrange en l’appâtant avec des parties d’échecs qu’il entame avec les passagers du transatlantique. Son adversaire le plus acharné est un richissime américain assez vulgaire mais plutôt bon enfant qui parvient à convaincre Czentovic de jouer contre eux. Le champion n’accepte qu’à condition d’être largement rémunéré, ce qui n’arrête pas le millionnaire texan. Alors que la partie semble perdue, un aristocrate viennois, Monsieur B, vient en aide à la fine équipe jusqu’à faire nul au grand damne de Mirko. Stefan Zweig se lie alors avec le sympathique Monsieur B, homme de culture raffiné. Celui-ci lui, fuyant l’Autriche où il vient d’échapper à la Gestapo, lui raconte comment les échecs sont tragiquement entrés dans sa vie.





Eric-Emmanuel Schmitt signe cette nouvelle traduction et l’adaptation pour la scène de la nouvelle Le joueur d’échecs, chef d’œuvre de Stefan Zweig. Texte engagé dont l’écho résonne singulièrement de nos jours, cette pièce profonde et pessimiste pousse la réflexion sur la défaite de la civilisation face à la barbarie et à l’obscurantisme, l’effondrement des valeurs européennes des Lumières.

Alors que dans cette adaptation, le narrateur et l’auteur ne font plus qu’un, la fiction et la réalité biographique de l’écrivain se mêlent intimement. Un parti pris convaincant sous forme de confession douloureuse soulignant la dimension personnelle que Zweig, préférant fuir plutôt que de résister, a donné à son ouvrage.




Elégant costume clair, Francis Huster, juste, empathique, tour à tour drolatique, torturé, emporté par la violence des tourments, relève le pari audacieux d’un seul en scène rythmé. Il interprète avec humanité des personnages contrastés, le texan loufoque, le taciturne et franchement antipathique Czentovic, la fragilité d’un Stefan Zweig rongé par le mal de vivre. Avec Monsieur B, il incarne la progression de la folie, le vacillement de l’esprit attiré par le néant à travers une métamorphose physique impressionnante sous les yeux du spectateur. La sobre mise en scène de Steve Suissa dans un beau décor claustrophobique de paquebot fait la part belle à cette performance d’acteur. Seul regret, la présence d’un micro, peut-être pour un souci d’acoustique, déformant légèrement la voix de Francis Huster, juste assez pour en être chagriné d’autant que semblable appareillage me paraît tout à fait superflu pour un tel comédien de théâtre.




Au-delà de la traversée en mer, Le joueur d’échecs raconte le voyage mental de deux hommes à travers leur récit qui s’entrecroisent dans une mise en abyme passionnante. Celle-ci distille dans l’intrigue une certaine forme de suspense, de tension croissante alors que progressent les histoires parallèles. Aux frontières de la folie, le vertige du dédoublement prend corps à travers la belle interprétation de Francis Huster.

Le joueur d'échecs d'après Stefan Zweig - Prolongation en alternance jusqu'au 29 août 2015
Traduction et adaptation : Eric-Emmanuel Schmitt
Interprétation : Francis Huster
Mise en scène : Steve Suissa

6 rue de la Gaîté - Paris 14
Tél location : 01 43 35 32 31