Paris : Cité des Fleurs, quiétude heureuse d'un lieu préservé - 154 avenue de Clichy et 59 rue de la Jonquière - XVIIème



Dans le triangle formé par les avenues de Clichy et de Saint-Ouen et la rue Guy Môquet, à quelques pas de l’effervescente place de Clichy et des conviviales Batignolles, le quartier des Epinettes, entre transformations récentes et préservation du patrimoine, surprend le flâneur par la tranquillité provinciale de ses ruelles paisibles. L’un de ses joyaux est une intéressante cité accessible par les 154 avenue de Clichy et 59 rue de la Jonquière. La Cité des Fleurs, fermée à la circulation et interdite aux chiens, coquette voie privée, semble suspendu dans le temps. Un lieu magique préservé qui nous transporte jusqu’au Second Empire puis à la Belle Epoque. Hôtels particuliers dévorés de lierre et de vigne vierge surgissant parmi les arbres centenaires, belles constructions bourgeoises abondamment fleuries, tocades d’inspiration méditerranéenne à l’ombre mêlée des palmiers, tamaris et des oliviers côtoient des pavillons aux jardinets plantés de cerisiers et de bambous, plus modestes mais tout aussi charmants. Disparité architecturale et luxuriance d’une nature épanouie insolite en ville s’expliquent par l’histoire de la Cité. Les deux conventions fondatrices ont permis de préserver l’atmosphère singulière d’harmonie grâce aux règles d’urbanisme de la villa originelle.









Jusqu’au début du XIXème siècle, le champ des Epinettes est une terre maraîchère, vaste étendue cultivée où seules quelques carrières à ciel ouvert au pied de la Butte Montmartre laissent présager le futur développement urbain. Au milieu du XIXème, l’activité économique est centrée autour de l’artisanat, le développement de petites industries et l’apparition des premières manufactures. L’ancien « chemin des bœufs » rebaptisé rue de la Jonquière est bordé de maisonnettes sans prétention où logent ouvriers et artisans.

Le village voisin des Batignolles connaît lui une certaine prospérité sous l’influence notamment d’Eugène Goüin, industriel novateur. Situées au-delà des fortifications de Thiers construites entre 1841 et 1843, les Epinettes entre la gare de marchandises, l’usine à gaz par distillation de schiste bitumeux du 67 avenue de Clichy, l’usine Goüin spécialisée dans la construction de locomotives et de machines de filatures, peinent encore à trouver leur voie. A partir de la seconde moitié du XIXème, l’essor économique progressif permet l’édification de beaux immeubles autour de La Fourche et de la place de Clichy. Lieux festifs où guinguettes, bals et cabarets font merveille, la population se composent essentiellement de petits bourgeois et d’ouvriers.








Deux investisseurs audacieux Jean-Edmé Lhenry et Adolphe Bacqueville de la Vasserie, inspirés par les audaces de l’industriel Ernest Goüin achètent au lieu-dit « Le chiendent » des terrains qu’ils lotissent en parcelles régulières. L’affaire scellée en 1847 chez le notaire Auguste Balagny maire des Batignolles-Monceau depuis 1843, la villa qui s’appellera tout d’abord Cité Pie IX, puis Villa des Fleurs et enfin Cité des Fleurs – plus vendeur – est créée. Les deux promoteurs ont des projets précis pour ce site immobilier. Ils envisagent des maisons mitoyennes de deux étages et jardins de ville encadrant une allée centrale de 230 mètres de long jalonnée par trois placettes circulaires. En 1850, le succès se fait attendre et seulement trois parcelles ont été vendues. 

La mise en place d’une convention particulière impose aux futurs propriétaires des règles strictes d’édification, afin de préserver les idées esthétiques des fondateurs. Cette convention qui est toujours en place de nos jours prescrit un alignement des façades, une servitude sur la hauteur limitation à deux étages et mansarde. Elle régit la disposition des cours et des jardins tout en exigeant la plantation de trois arbres dans un jardin en façade. Les pilastres en pierre de taille doivent être surmontés d’un vase Médicis en fonte d’après un modèle unique orné d’une variété florale spécifique, les grilles de clôture entre les pilastres toujours placés en vis à vis de part et d’autre de la voie, les muret et grilles de hauteur uniforme. Elle réglemente également l’activité des espaces privatifs et collectifs. En 1857, le syndicat des propriétaires de la Cité des Fleurs est fondé. En 1864, alors que l’accès au public n’est qu’une tolérance, celui-ci recrute un gardien afin qu’il en assure la sécurité et établit un règlement de police intérieur.









En 1866, tous les terrains de la Cité des Fleurs ont trouvé acquéreurs. Lieu de mixité sociale influencé par par l’activité ferroviaire et les usines du quartier Cardinet, ingénieurs de la Compagnie des Chemins de fer de l’Ouest et ouvriers cohabitent. La famille Goüin y possède un grand pavillon pour héberger son personnel. Cependant, comme le confirme le tableau d’Alfred Sisley, « Montmartre depuis la Cité des Fleurs » peint en 1869, la cité est encore peu construite.

En 1886, la publication d’un très strict règlement d’administration de la Cité par l’assemblée des propriétaires définit leurs droits et leurs devoirs en matière d’éclairage becs de gaz et pavage. A l’occasion du centenaire de l’Association de la Cité des Fleurs, Jean Thoretton, président de la Commission adminstrative du Syndicat des Propriétaires, contait au journal municipal du XVIIème arrondissement, une anecdote amusante au sujet de ce nouvel édit. « A la suite d'une plainte, probablement en raison d'élevages domestiques de volaille et de lapin, il a même été établi en 1886 que les établissements de « nourrisseurs » n'étaient pas autorisés dans la Cité des Fleurs. »








En 1898, lorsque la cité est sommée de procéder au raccordement au réseau des égouts de la ville, les frais faramineux des travaux refroidissent bien des petits propriétaires. C’est le début de l’embourgeoisement. Le réseau d’assainissement sera définitivement mis en place en 1927. La construction de l’église Saint-Joseph-des-Epinettes en 1909 avec presbytère, locaux paroissiaux et congrégation religieuse donne une nouvelle orientation à la Cité des Fleurs. Associations et communautés trouvent une place privilégiée dans la vie de la villa. Au début du XXème siècle, il s’y trouve encore la fabrique des caramels Valentin-Picards et celle des poupées Gerb’s.

Au numéro 25 de la Cité des Fleurs, une maison a abrité l’un des relais du réseau Plutus du Mouvement de Libération nationale, originaire de Lyon, fabriquant et diffusant de faux papiers pour la Résistance. Le 18 mai 1944, la Gestapo organise une descente.  Colette Heilbronner, la responsable de la cellule clandestine, est aussitôt fusillée par les agents nazis tandis que Jean Meyer est abattu en tentant de résister. Leurs camarades - Jean Hernes, Ginette Salomon, Fernand Lévy, Ludovic Vemfeld, Charles Ravard et François Vernet – meurent en déportation.






Au numéro 32, se trouve l’atelier de l’artiste Lucien Fontanarosa installé en 1964, résident jusqu’en 1975, date de son décès, célèbre notamment pour avoir dessiné quatre billets de banque pour la Banque de France à l’effigie de Hector Berlioz, Pascal, Quentin de La Tour et Eugène Delacroix. Aux 52-54, le bâtiment de la Croix Rouge française abrite une crèche, un centre de formation des secouristes bénévoles de Paris, une annexe de l’Unité locale de Paris 17è. Dans les années 40, il y avait une clinique où naquirent Catherine Deneuve et sa soeur, Françoise Dorléac.

Aujourd’hui « La Cité des Fleurs compte 62 propriétaires, soit 32 propriétés individuelles, 20 copropriétés gérées par des syndics professionnels et 15 par des bénévoles » explique Jean Thoretton. Entre élèves de l’école Maternelle, paroissien de l’église Saint-Joseph-des-Epinettes, membres de la communauté religieuse de Saint-Vincent-de-Paul et jeunes travailleurs du Lou Cantou foyer des jeunes Aveyronnais, la vie y est très animée même si pour des raisons de tranquillité, elle est fermée au public le soir. A chaque visiteur de respecter la quiétude heureuse de ce lieu insolite afin d'apprécier cette curiosité sans déranger les riverains.

Cité des Fleurs
154 avenue de Clichy – 59 rue de la Jonquière – Paris 17
Horaires d’ouverture au public : du lundi au samedi de 7h à 19h, dimanche et jours fériés de 7h à 13h

Bibliographie :
Paris secret et insolite – Rodolphe Trouilleux – Parigramme
Guide du promeneur 17è arrondissement – Rodolphe Trouilleux - Parigramme

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